Médicaments et perte d’audition : comprendre les risques pour mieux se protéger

20 septembre 2025

Ototoxicité médicamenteuse : un risque souvent méconnu

La surdité liée aux médicaments, appelée ototoxicité, reste mal connue du grand public alors qu’elle concerne chaque année plusieurs milliers de personnes en France. Face à une infection grave, un cancer, une maladie rhumatismale ou un trouble du cœur, il est parfois nécessaire de recourir à des traitements puissants. Certains ont comme effet secondaire la détérioration de l’audition, allant d’une gêne temporaire à une surdité définitive ou progressive. Comprendre les médicaments en cause, les symptômes d’alerte, et connaître les mesures de prévention peut faire toute la différence dans la gestion de sa santé auditive.

Qu’est-ce qu’un médicament ototoxique ?

Un médicament est qualifié d’ototoxique lorsqu’il peut nuire à l’oreille interne, endommager les cellules ciliées (les cellules sensorielles de l’audition) ou affecter le nerf auditif. Cette toxicité se manifeste le plus souvent par une perte auditive, mais aussi par des acouphènes (bourdonnements), une sensation d’oreille bouchée, ou des troubles de l’équilibre. Les effets peuvent apparaître rapidement, parfois même dès les premières doses, ou se manifester plus tard, après un traitement prolongé.

Quels sont les médicaments connus pour leur toxicité auditive ?

Voici les familles principales de médicaments dont la toxicité auditive est aujourd’hui bien documentée :

  • Antibiotiques aminoglycosides : Utilisés dans le traitement d’infections sévères (ex. : amikacine, gentamicine, streptomycine, tobramycine). Ils sont majeurs dans l’ototoxicité médicamenteuse, surtout chez les nouveau-nés prématurés, personnes âgées ou patients insuffisants rénaux. [Haute Autorité de Santé]
  • Médicaments utilisés en chimiothérapie : Ce sont principalement les sels de platine (cisplatine, carboplatine, oxaliplatine), prescrits pour traiter des cancers de la sphère ORL, des ovaires ou des testicules. Le cisplatine cause une perte auditive chez 40 à 60% des patients, surtout enfants et jeunes adultes. [INCa]
  • Anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) : Ibuprofène, aspirine, naproxène peuvent entraîner des troubles auditifs, souvent réversibles, en cas de dose élevée ou d’usage prolongé.
  • Diurétiques de l’anse : Furosémide et bumétanide, utilisés pour traiter l’insuffisance cardiaque ou rénale. La perte auditive survient surtout en cas de dépassement de dose ou d’association avec d’autres médicaments ototoxiques.
  • Antipaludéens : Chloroquine, quinine ou hydroxychloroquine, rarement responsables de surdité mais pouvant provoquer des symptômes auditifs et acouphènes surtout lors de surdosage ou d’utilisation prolongée.
  • Certains traitements antituberculeux : Streptomycine, kanamycine ou capréomycine.

De nombreux autres médicaments – certains antifongiques, antiviraux, ou médicaments utilisés pour traiter les troubles bipolaires ou l’épilepsie – peuvent exceptionnellement induire des troubles de l’audition, mais cela reste rare (< 1% des cas rapportés).

Comment la toxicité affecte-t-elle l’audition ?

L’impact des médicaments sur l’oreille dépend de multiples facteurs :

  • Voie d’administration : Les injections intraveineuses ou intramusculaires sont souvent plus dangereuses qu’une administration orale.
  • Durée et dose du traitement : Plus la dose et la durée augmentent, plus le risque d’effets secondaires auditifs s’élève.
  • Âge et terrain médical : Les enfants, les personnes âgées, les femmes enceintes ou les personnes ayant une insuffisance rénale sont beaucoup plus à risque.
  • Facteurs génétiques : Certaines prédispositions expliquent pourquoi deux patients exposés au même traitement ne seront pas impactés de la même façon.
  • Association de plusieurs médicaments ototoxiques : Le cumul double, triple le risque (un point souvent méconnu).

L’atteinte auditive peut être unilatérale ou bilatérale, transitoire ou irréversible. Dans certains cas, les acouphènes précèdent la perte d’audition : tout changement auditif après une prise médicamenteuse doit donc alerter et motiver une consultation.

Chiffres clés et situations à risque

  • En France, plus de 5 000 cas de surdités médicamenteuses seraient recensés chaque année selon l’ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament).
  • Dans les services de néonatologie, 1 à 5% des nourrissons traités par aminoglycosides développeraient une surdité permanente (source : Orphanet).
  • Chez les patients traités par cisplatine, près d’un enfant sur deux présenterait une atteinte auditive (INCa, 2022).
  • L’association d’un diurétique et d’un antibiotique ototoxique multiplie par 4 le risque de perte auditive (HAS, 2019).
  • La majorité des atteintes survient lors d’une automédication ou en cas de non-respect des prescriptions (source : Inserm).

Symptômes : comment repérer une toxicité auditive ?

  • Impression d’oreille bouchée ou de sons étouffés
  • Acouphènes (bourdonnements, sifflements)
  • Perte soudaine et brutale ou progressive de l’audition
  • Déséquilibre, vertiges, troubles de la marche
  • Chez l’enfant ou le nourrisson : troubles du langage, absence de réaction aux bruits, agitation inhabituelle

Les symptômes doivent être signalés sans délai au professionnel de santé en charge du traitement. Plus l’arrêt ou la modification du médicament est réalisée tôt, plus le risque de séquelles auditives diminue.

Facteurs favorisant l’ototoxicité : des profils à surveiller

Certaines personnes sont naturellement plus exposées au risque de surdité liée aux médicaments. Il s’agit notamment :

  • Des nouveau-nés prématurés (traitement par gentamicine notamment)
  • Des patients atteints d’insuffisance rénale ou hépatique
  • Des personnes âgées (fragilité accrue de l’oreille interne)
  • Des patients traités à forte dose ou en association de molécules ototoxiques
  • Des personnes présentant des mutations génétiques rendant l’oreille plus vulnérable (mutation 12S rRNA pour les aminoglycosides, par exemple)

Un dépistage génétique peut parfois être proposé avant certains traitements à haut risque, en l’hôpital, mais ce n’est pas encore systématique. L’évaluation du risque passe aussi par une bonne connaissance du dossier médical et — si besoin — par un bilan auditif de référence en début de traitement.

Prévention : réduire les risques au quotidien

  • Informer votre médecin de tout antécédent de problème auditif, de maladie rénale ou d’utilisation simultanée d’autres médicaments.
  • Respecter strictement les prescriptions : ne jamais doubler une dose pour “compenser un oubli”, éviter l’automédication surtout avec des anti-inflammatoires ou antipaludéens.
  • Surveillance : des tests auditifs réguliers sont indispensables lors de traitements à risque (aminoglycosides, cisplatine, diurétiques de l’anse).
  • Signaler immédiatement tout trouble auditif apparaissant pendant ou après le traitement.
  • En présence de plusieurs médicaments ototoxiques, demander un schéma thérapeutique alternatif si possible.
  • Pour les enfants : rester très attentif aux modifications comportementales, au retard de langage ou d’attention vers le bruit.

À l’hôpital, l’équipe médicale adapte souvent la dose en fonction de la clairance rénale, et surveille la concentration du médicament dans le sang (dosage plasmatique), permettant de limiter le risque. Cette attitude est moins courante en médecine de ville, d’où l’importance de bien échanger avec ses soignants.

Que faire en cas de suspicion d’ototoxicité ?

  • Consulter rapidement un ORL (Oto-Rhino-Laryngologiste) pour un bilan auditif complet (audiogramme, reflexes stapédiens, potentiels évoqués auditifs chez l’enfant).
  • Informer le prescripteur pour une adaptation ou l’arrêt du médicament si cela est possible et raisonnable.
  • Ne pas interrompre brutalement un traitement sans avis médical, surtout en cas de maladie sous-jacente grave.
  • Conserver la liste de l’ensemble des médicaments pris (pour ré-évaluation et prévention d’une prochaine exposition).

En Haute-Savoie, de nombreux centres hospitaliers (centre hospitalier Annecy Genevois, hôpital d’Evian, Centre Audition et Surdité de l’enfant à Annecy), proposent une prise en charge rapide permettant de préserver au mieux l’audition en cas d’effets indésirables.

Vers une vigilance partagée pour préserver l’audition

Si la surdité médicamenteuse ne peut pas toujours être évitée, mieux informer tous les acteurs — patients, familles, professionnels — réduit considérablement les risques et favorise une adaptation rapide lorsqu’un symptôme survient. Aujourd’hui, la Haute-Savoie peut compter sur un réseau de professionnels sensibilisés à ces questions, et nombre d’actions de prévention existent pour accompagner chacun à chaque étape du parcours de soin. Être attentif à ses oreilles, se sentir légitime pour poser des questions sur les effets secondaires, échanger les informations entre médecins, familles et patients : voilà le cœur d’un accompagnement efficace et respectueux, pour continuer à privilégier chaque jour le dialogue et la qualité de vie.

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