La surdité : une réalité bien plus nuancée qu’on ne le pense

5 décembre 2025

Être sourd : un terme qui englobe différentes réalités

Le mot “sourd” est souvent utilisé dans la vie courante pour décrire des situations très variées. Pourtant, d’un point de vue médical comme social, il recouvre une mosaïque de réalités.

  • Surdité totale (cophose) : absence complète de perception sonore, très rare en réalité. En France, on estime que moins de 10 % des personnes catégorisées comme “sourdes” vivent une surdité totale (source : CNSA).
  • Surdité profonde : réactions uniquement à des sons très puissants, ou perception de vibrations, mais pas de sons du quotidien.
  • Surdité sévère : perception de certains sons forts, mais difficulté majeure pour comprendre la parole, même avec amplification.
  • Surdité moyenne et légère : perception de nombreux sons mais difficultés variables à distinguer la parole, surtout dans un environnement bruyant (source : Inserm).

À noter que le terme “personne malentendante” est souvent employé pour décrire une perte auditive moyenne à sévère, mais les frontières entre ces catégories ne sont pas toujours strictes ni perçues de la même façon selon chacun.

Zoom sur les chiffres : la surdité en France

  • On compte environ 6 à 7 millions de personnes sourdes ou malentendantes en France (source : JNA, Sourdline, 2023).
  • La surdité profonde concerne environ 90 000 personnes, dont 4 000 à 6 000 enfants de moins de 18 ans (source : INSERM).
  • Près de 80 % des personnes sourdes ont acquis leur surdité à l’âge adulte, souvent du fait du vieillissement ou de causes professionnelles.
  • Sur 1 000 enfants, environ 1 à 2 naissent avec une surdité profonde (INSERM).

Ce panorama souligne la diversité des situations, des vécus, et des besoins en accompagnement. La plupart des personnes vivant avec une surdité ne relèvent pas d’une “absence totale de sons.”

Perte auditive : une gradation, pas un tout ou rien

L’ouïe n’est pas un interrupteur : elle fonctionne comme une échelle de perception, mesurée en décibels (dB). L’audition normale se situe en dessous de 20 dB. On parle de déficit auditif à partir de 20-30 dB de perte et la surdité profonde se situe au-delà de 90 dB.

Degré de surdité Perte auditive (en dB) Perception de la parole
Légère 20-39 dB Difficultés voix faible/bruit
Moyenne 40-69 dB Compréhension très difficile sans aide
Sévère 70-89 dB Sons très forts perçus
Profonde 90 dB + Souvent non perçue directement

Ce degré de perception a un impact concret : certains enfants n’entendront aucune parole mais percevront une sirène ou une vibration ; d’autres saisiront des intonations, mais pas le contenu du message. Chez l’adulte, une perte modérée rendra difficile la conversation dans le bruit, tandis qu’une perte profonde fera perdre tous les repères sonores du quotidien.

Comment vit-on avec une surdité… qui n’est pas « totale » ?

Nombreuses sont les personnes qui “entendent un peu”, mais sans accéder à une audition fonctionnelle. Cela peut donner lieu à des situations parfois incomprises par l’entourage :

  • Une personne peut percevoir votre voix comme un “brouhaha” grave ou aigu, sans pour autant distinguer les mots.
  • Certains sons isolés (cloches, alarme) restent repérables, tandis que la parole, subtile et nuancée, passe inaperçue.
  • Des fluctuations possibles : selon la fatigue, la santé ou le contexte, l’audition peut paraître “meilleure” ou “pire”.
  • Des personnes peuvent lire sur les lèvres ou utiliser la lecture labiale pour “compenser”, ce qui demande une concentration extrême.

On parle parfois de “surdité invisible” car la personne donne l’impression de « comprendre », alors qu’elle fait beaucoup d’efforts pour suivre – au prix d’une grande fatigue cognitive (Surdi Info Service).

Pourquoi les perceptions auditives varient-elles autant ?

La surdité peut être d’origine congénitale, génétique, ou acquise (problèmes ORL : otite, traumatisme sonore, traitements médicaux…). Elle peut toucher une seule oreille (unilatérale) ou les deux (bilatérale). Selon l’âge d’apparition, les conséquences sur le développement du langage oral seront majeures ou non.

Quelques exemples de profils d’audition :

  • Bourdonnements et distorsions : Entendre certains sons, mais de manière déformée, métallique ou étouffée.
  • Réserves de terrain : Être sensible à la fréquence grave (voix masculine) mais insensible aux aigus (voix féminine ou d’enfant).
  • Surdité fluctuante : Par exemple en cas de surdité liée à la maladie de Ménière, l’audition varie d’un jour à l’autre.
  • Audition “résiduelle” : Capacité à ressentir les basses fréquences, utiles pour apprécier la musique ou sentir l’environnement, sans comprendre les mots.

Ce sont ces nuances qui expliquent que chaque parcours de vie avec une surdité est unique… et que les stratégies de compensation le sont aussi !

Entre équipements et obstacles : les enjeux du quotidien

Il existe aujourd’hui des aides auditives (appareils, implants) qui permettent de renforcer, dans une certaine mesure, une audition défaillante. Pourtant :

  • Moins de 20 % des personnes sourdes profondes sont équipées d’un implant cochléaire en France (CNSA).
  • Les appareils auditifs ne “rendent” jamais une audition naturelle, et leur port dépend aussi de la tolérance individuelle.
  • Pour certaines surdités sévères, aucune technologie ne permet de comprendre facilement la parole.
  • La maîtrise ou non de la langue des signes (LSF) varie : en France, on estime que 100 000 personnes l’utilisent au quotidien, mais seulement une minorité d’enfants sourds y accède dès la petite enfance (source : Fédération Nationale des Sourds de France).

L’accessibilité ne concerne donc pas seulement le support sonore : c’est aussi l’accès à l’information traduite, aux dialogues adaptés, à la scolarisation, à l’emploi…

Des impacts dans la vie personnelle et sociale

La perception sonore – même partielle – modifie toute l’expérience sociale. Voici quelques situations concrètes :

  • À l’école : Un élève qui entend des sons, mais pas la parole, peut se retrouver isolé s’il n’a pas d’accompagnement adapté.
  • En famille : Les quiproquos sont fréquents si l’entourage n’intègre pas la nécessité de parler face à face, d’éviter les environnements bruyants, ou de réexpliquer calmement.
  • En milieu professionnel : La “sourdité invisible” peut être source d’incompréhensions (“il entend quand il veut !”, “il fait exprès de ne pas répondre”, etc.).
  • Dans les transports ou les lieux publics : Les annonces sonores, alarmes, et indications vocales deviennent inaccessibles si elles ne sont pas doublées visuellement.

Mais l’accès à la communication ne passe pas uniquement par le son : langues des signes, écrit, gestes, lecture labiale ou même l’usage du tactile (vibrations…) sont autant de solutions mobilisées selon les profils.

Ce que cela change dans l’accompagnement et l’accueil

Une meilleure compréhension des nuances de la surdité permet d’éviter des maladresses et d’adapter son attitude :

  • N’hésitez pas à demander à la personne comment elle communique le mieux – il n’y a pas de “bonne” formule universelle.
  • Parlez distinctement, en face à face, avec un débit naturel.
  • Privilégiez les supports visuels et écrits, surtout dans les contextes officiels ou professionnels.
  • Faites preuve de patience : la compréhension se construit dans l’échange, avec bienveillance.
  • Soyez attentifs à la fatigue que peut générer l’effort d’écoute ou de lecture labiale.

En Haute-Savoie, des initiatives existent : formation à la langue des signes, associations de parents, services publics accessibles… mais il reste du chemin pour garantir à chacun – selon son degré de surdité – un véritable accès à l’information et à la participation (source : Maison Départementale des Personnes Handicapées 74).

Vers plus de nuance et de compréhension

Être sourd, ce n’est pas systématiquement ne rien entendre du tout. La grande majorité des personnes concernées vivent avec des restes auditifs, des perceptions partielles, ou compensent par d’autres moyens. Cette diversité doit être reconnue et prise en compte, aussi bien dans les lois, les aménagements, que dans les relations du quotidien. Ouvrons sur cette réalité : une société véritablement inclusive ne suppose pas qu’il existe un seul “modèle” de surdité, mais accueille la pluralité des expériences et valorise toutes les formes de communication.

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