Langue des signes : des gestes universels ou une diversité méconnue ?

14 décembre 2025

Langue des signes universelle : pourquoi la question se pose si souvent ?

On croise régulièrement une fausse idée dans les conversations ou sur internet : la langue des signes serait “universelle”, comprise par tous les sourds et malentendants à travers le monde. Rien de moins vrai ! Pourtant, cette croyance tenace continue de circuler, sans doute portée par l’apparence visuelle, gestuelle et expressive de ces langues qui, à première vue, pourraient sembler plus “naturelles” et accessibles que les langues orales.

Mais de quoi parle-t-on vraiment ? Existe-t-il une langue des signes mondiale ? Pourquoi chaque pays (et parfois chaque région…) semble avoir sa propre langue des signes ? Focus sur une question bien plus complexe qu’il n’y paraît.

Qu’est-ce qu’une langue des signes : langue naturelle ou simple code ?

Pour comprendre l’origine du mythe, il faut d’abord rappeler que la langue des signes est une langue naturelle, pas un code artificiel ni une simple succession de gestes mimant le français. Chaque langue des signes possède :

  • Sa grammaire propre (structure de la phrase, conjugaison des verbes, etc.)
  • Un vocabulaire riche, souvent très imagé, variant selon cultures et époques
  • Des expressions idiomatiques uniques
  • Une transmission communautaire et historique, comme toute langue vivante

Selon l’Organisation Mondiale des Sourds (WFD), il existe plus de 300 langues des signes différentes dans le monde. La Langue des Signes Française (LSF) n’a ainsi rien à voir avec l’American Sign Language (ASL) utilisée aux États-Unis ou la British Sign Language (BSL) du Royaume-Uni, qui sont mutuellement incompréhensibles (source : Ethnologue.com, recensement des langues mondiales).

Petite histoire de la diversité des langues des signes

La diversité des langues des signes s’inscrit dans l’histoire sociale, culturelle et linguistique de chaque pays ou région.

  • Émergence communautaire : La première “école pour sourds” ouvre à Paris en 1760 sous l’impulsion de l’abbé de l’Épée, mais des gestes existaient déjà dans les familles et villages où vivaient plusieurs sourds (ex : village de Martha’s Vineyard aux États-Unis dès le XVIIe siècle).
  • Diffusion scolaire et institutionnelle : Le modèle français a voyagé, influençant certaines langues (ex : l’ASL aux USA s’inspire partiellement de la LSF), mais d’autres se sont créées indépendamment.
  • Evolution et reconnaissance : Les langues des signes ont été longtemps interdites à l’école (le fameux congrès de Milan en 1880 imposant l’oralisme), expliquant leur transmission souvent “clandestine”. Leur reconnaissance officielle commence seulement à la fin du XXe siècle dans plusieurs pays européens (France : loi de 2005).

Anecdote : en France, la LSF varie elle-même selon les régions – une personne ayant grandi à Toulouse, Paris ou Annecy pourra remarquer des “accents” ou variantes.

Quelques exemples concrets de diversité : LSF, ASL, BSL… et autres

Nom Pays/région Parenté principale Nombre d’utilisateurs (est.) Date de reconnaissance officielle
Langue des Signes Française (LSF) France, Suisse romande, Belgique Famille française 80 000 (France) 2005 (France)
American Sign Language (ASL) États-Unis, Canada anglophone, Afrique de l’Ouest Famille française (import LSF + influences locales) 500 000 — 2 000 000 Jamais formellement mais largement reconnue
British Sign Language (BSL) Royaume-Uni, Nouvelle-Zélande (NZSL) Famille britannique 151 000 (UK) 2003 (UK)
Langue des Signes Québécoise (LSQ) Québec, Canada francophone Famille française / influence ASL ~5 000-10 000 2015

On constate qu’il existe une multitude de langues des signes, chacune avec sa trajectoire. Par exemple, une étude menée par l’université de Lancashire (UK, 2020) montre que la compréhension mutuelle entre utilisateurs LSF, BSL ou ASL est quasiment nulle, sauf sur des gestes très basiques ou universels (comme “manger”, “boire”).

Y a-t-il des signes “universels” ? Ce que la science nous dit

Certaines idées ou objets courants sont naturellement “iconiques” en langue des signes : mimer le sommeil ou l’action de boire se retrouve dans de nombreuses langues. Mais attention, l’iconicité n’est pas synonyme d’universalité : même pour ces concepts, le geste précis change souvent.

  • Par exemple, le signe “merci” se fait sous le menton en LSF, mais au niveau de la bouche en ASL, et est entièrement différent en BSL.
  • D’autres signes comme “papa” ou “maman” illustrent des variations culturelles très marquées.

La diversité culturelle, religieuse et sociale façonne aussi la langue des signes : chaque société va adapter ses signes à sa réalité (faune, flore, traditions, objets usuels).

Les chercheurs du Gallaudet University (États-Unis, université de référence pour la surdité) estiment qu’à peine 10 à 20 % des signes sont “transparents” ou intuitivement compréhensibles pour un usager d’une autre langue des signes (source : Gallaudet Research 2018).

Langue des signes internationale (LSI), une réalité ?

Il existe une tentative de langue des signes “internationale” : dite International Sign (IS) ou LSI. Elle est utilisée lors des congrès mondiaux (ex. Jeux Olympiques des Sourds, réunions de la Fédération Mondiale des Sourds) et lors de rencontres internationales. Mais, il est important de noter que cette “langue” :

  • Est une sorte de “créole” improvisé, non standardisé
  • Repose surtout sur l’iconicité des signes et des emprunts aux grandes langues visuelles (ASL, LSF, BSL, etc.)
  • N’a pas de grammaire officielle ni de légitimité institutionnelle
  • Reste difficile à utiliser en dehors des événements formels, car peu d’enseignements la proposent

Son usage est comparable à une lingua franca : elle permet juste de se “débrouiller” en voyage, mais ne saurait remplacer la richesse des langues des signes natives. L’International Sign n’est donc pas, et ne sera probablement jamais, une “langue des signes universelle” dans le sens où on l’entend parfois.

Pourquoi cette croyance persiste ? Représentations médiatiques et idées reçues

L’idée de l’universalité des signes est souvent renforcée par :

  • Les médias : films ou séries où des sourds d’origines différentes se comprennent immédiatement (ex : dans “CODA”, adaptation américaine du film “La Famille Bélier”)
  • Les applications mobiles ou sites de vulgarisation, qui proposent parfois des signes “universels” pour faciliter l’apprentissage, au détriment de la réalité linguistique
  • La méconnaissance générale du grand public sur la richesse et la spécificité des cultures sourdes et des langues

Dans la vie réelle, lorsqu’un Français se rend dans un autre pays, il ne pourra échanger en LSF qu’avec une infime part des sourds locaux, à moins d’utiliser l’écrit, une autre langue des signes ou l’International Sign. Les situations de “malentendu linguistique” sont fréquentes lors des voyages ou des rencontres internationales.

Impact de la diversité : quelles conséquences pour l’inclusion ? Focus Haute-Savoie et France

Pour les familles, les professionnels ou toute personne concernée par la surdité, cette diversité amène plusieurs défis :

  • Traduction et accessibilité : Choisir un interprète LSF au lieu d’un interprète anglais ou international devient indispensable selon les contextes (sachant qu’il existe plus de 400 interprètes diplômés LSF recensés en France en 2023 — source : AFILS).
  • Éducation : Un jeune sourd en Haute-Savoie n’apprend pas la langue des signes suisse, même si la frontière est proche ; la priorité reste la LSF, mais les variantes linguistiques persistent à l’échelle locale.
  • Parcours migratoires : De plus en plus de personnes sourdes migrent (manque d’interprètes, déplacements professionnels), créant des besoins nouveaux en “interculturel linguistique”.
  • Apprentissage : Apprendre la LSF ne permet pas de comprendre la BSL ou l’ASL – il est important de le rappeler aux familles et enseignants. Chaque langue nécessite un apprentissage distinct, au-delà de quelques similitudes gestuelles.

Pour information, selon la Fédération Nationale des Sourds de France, environ 60 000 personnes utilisent la LSF comme langue principale en France, sur un total de 200 000 sourds profonds. Cela rappelle l’enjeu de l’adaptation locale des ressources et des parcours.

Où apprendre et pratiquer la langue des signes en Haute-Savoie ?

Il existe en Haute-Savoie différents organismes et associations pour apprendre la LSF ou améliorer sa compréhension :

  • IRIS (Annecy) : Cours tous niveaux, ateliers parents/enfants, rencontres culturelles
  • ADIS : Axée sur l’inclusion avec la communauté sourde locale
  • Centres sociaux/mjc : Ateliers d’initiation ponctuels, souvent pour le grand public
  • Formation à distance : Possible via des plateformes nationales reconnues comme Elix (dictionnaire en ligne indispensable)

Les écoles et crèches peuvent également bénéficier d’interventions de sensibilisation sur la surdité et la LSF. Penser à solliciter la MDPH Haute-Savoie pour des informations sur les relais accessibles.

Vers une meilleure reconnaissance de la diversité et de l’inclusion

Si la langue des signes n’est pas universelle, elle porte en elle la force de l’expression humaine : adaptation, inventivité, transmission, et ancrage culturel. Mieux comprendre ces réalités, c’est déjà ouvrir la porte à plus d’inclusion, de respect et d’échanges entre sourds, malentendants et entendants.

Pour aller plus loin : n’hésitez pas à explorer différents ateliers, à rencontrer les communautés, et à s’informer sur l’histoire des langues des signes dans le monde. La diversité est une richesse qui dessine le quotidien de nombreuses familles, ici en Haute-Savoie comme partout ailleurs.

En savoir plus à ce sujet :