Lecture labiale et surdité : Démêler le vrai du faux

10 décembre 2025

Lecture labiale : de quoi parle-t-on exactement ?

La lecture labiale consiste à comprendre le langage oral en observant les mouvements des lèvres, du visage et parfois du haut du corps d’un locuteur. Bien loin d’être magique, elle demande une attention soutenue, de l’entraînement, et n’est jamais une restitution exacte du message oral.

  • Seules 30 % des informations phonétiques sont réellement perceptibles sur les lèvres (Fédération Nationale des Sourds de France) : beaucoup de sons ont la même apparence visuelle (ex : /p/, /b/ et /m/ se ressemblent fortement).
  • La lecture labiale doit souvent être complétée par le contexte, ainsi que par l’observation des expressions faciales et des gestes.
  • Tous les mots ne sont pas « lisibles » et certains accents ou modes d’articulation compliquent la compréhension.

Les orthophonistes et associations spécialisées rappellent que c’est un complément à d’autres formes de communication, rarement une solution unique.

Un apprentissage accessible à tous ?

Toutes les personnes sourdes ne lisent pas sur les lèvres, loin de là. Bien que certains développent cette capacité, elle dépend de nombreux critères qui varient selon les individus et leur parcours.

  • Age d’apparition de la surdité : Une personne devenue sourde après avoir maitrîsé la langue orale (surdité acquise ou post-linguale) aura souvent plus de facilité d’accès à la lecture labiale. Chez les personnes sourdes de naissance, cette compétence est moins répandue (INSERM, 2017).
  • Expérience et motivation : L’exposition, la pratique régulière et l’empressement à s’entrainer influencent fortement l’efficacité de la lecture labiale.
  • Accompagnement orthophonique : Un apprentissage méthodique, souvent débuté assez jeune, peut améliorer la capacité, mais aucune méthode ne garantit la compréhension totale.
  • Autres facteurs : L’acuité visuelle, les troubles associés (fatigue, attention, etc.), ou les contextes d’échange (bruit ambiant, nombre d’interlocuteurs) jouent un rôle clé.

Un chiffre parlant : selon une étude de l’INSEE publiée en 2021, moins d’un tiers des adultes sourds ou malentendants déclarent utiliser la lecture labiale comme stratégie principale de communication. Beaucoup y recourent seulement en complément d’autres moyens (lecture sur tablette, langue des signes, etc.).

Limites de la lecture labiale au quotidien

Malgré l’entraînement, la lecture labiale reste une pratique aux limites bien réelles.

  • Fatigue et attention : Lire sur les lèvres exige un effort mental important, notamment lors de longues conversations ou dans les milieux bruyants. Les personnes concernées signalent une fatigue bien plus forte, parfois qualifiée de « surdité cachée » tant elle isole sans que l’entourage s’en rende compte.
  • Incompréhensions naturelles : De nombreux mots, comme « papa », « maman », « baba », ont exactement le même mouvement de lèvres. Hors contexte, la compréhension devient complexe.
  • Situations difficiles : Si la personne qui parle tourne la tête, couvre ses lèvres ou parle trop vite, la lecture labiale devient impossible. Le port du masque lors de la pandémie de COVID-19 a, d’ailleurs, souligné ces limites : selon une enquête de SurdiFrance en 2020, 8 personnes sourdes sur 10 ont vu leur quotidien encore davantage perturbé à cause des masques opaques.
  • Multiplicité des interlocuteurs : Les échanges à plusieurs empêchent de suivre toutes les lèvres en même temps.

Un témoignage local

Aline, habitante de Thonon, partage dans le journal Le Dauphiné Libéré : « J’ai suivi une formation de lecture labiale il y a six ans. J’estime comprendre la moitié de ce qui se dit si mon interlocuteur parle clairement et si je connais déjà le sujet. Mais, dans la rue ou au travail, il y a tellement de paramètres que cela ne suffit pas. »

Des alternatives et des complémentarités indispensables

Face à ces limites, les personnes sourdes, comme leurs proches, combinent bien souvent plusieurs moyens de communication :

  • Langue des signes française (LSF) : utilisée par une minorité mais promue par de nombreuses associations, c’est la langue naturelle des sourds de naissance en France.
  • Lecture et écriture, SMS et applications de transcription : le développement d’outils comme Ava, Roger Voice ou l’usage des notes peut faciliter les échanges, notamment dans les lieux publics ou médicaux.
  • Prothèses auditives et implants : améliorent la perception sonore et permettent parfois de combiner écoute et lecture labiale.
  • Cours et ateliers spécifiques : proposés par des associations locales (exemple : SurdiciTé à Annecy, ou l’URAPEDA Auvergne-Rhône-Alpes), ils permettent de progresser collectivement et de sortir de l’isolement.
  • Lecture labiale + gestes naturels : certains utilisent des gestes codés (comme le français signé) en complément du décodage des lèvres.

Cela rappelle une évidence : chacun doit pouvoir choisir ses propres outils, et il n’existe pas de solution unique, ni universelle.

Pourquoi ce mythe persiste ?

Si tant de personnes associent automatiquement la surdité à la lecture sur les lèvres, c’est sans doute pour plusieurs raisons :

  • L’image véhiculée par les films et médias : Bien souvent, la surdité y est réduite à un simple « handicap de l’oreille » compensable par une capacité visuelle exceptionnelle.
  • Méconnaissance de la multiplicité des parcours : Surdité, traitements et moyens d’adaptation sont très divers, mais peu connus du grand public.
  • Recherche de solutions universelles : Face à la complexité, chacun cherche à simplifier et généraliser alors que la surdité est au contraire une expérience singulière pour chaque individu.

L’importance de l’information et de la formation dès le plus jeune âge

Accompagner chaque personne selon son histoire, ses capacités et ses choix (LSF, lecture labiale, outils numériques…) est un enjeu majeur évoqué dans le rapport du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH) de 2022. La Haute-Savoie, soutenue par ses acteurs locaux, doit intensifier l’accès à l’information et la formation, y compris pour les familles et les professionnels.

Quelques repères utiles pour les familles et professionnels en Haute-Savoie

  • Des accompagnements spécialisés :
    • URAPEDA Auvergne-Rhône-Alpes : sessions de formation à la lecture labiale et soutien parental.
    • SurdiciTé Annecy : rencontres parents-enfants et ateliers LSF.
  • Reseau local de professionnels (orthophonistes, associations, enseignants spécialisés) : n’hésitez pas à demander des contacts via la MDPH ou les centres hospitaliers.
  • Ressources nationales comme la surdi.info ou la Fédération nationale des Sourds de France proposent guides, vidéos, et forums de discussion.

Pour aller plus loin : une étude de 2019 du CHU de Lyon a montré que l'accompagnement pluridisciplinaire, au-delà des seules techniques de lecture labiale, améliore durablement l’intégration sociale des personnes sourdes.

Changer de regard pour une société plus inclusive

En définitive, la lecture sur les lèvres n’est ni un don universel, ni une solution miracle. C’est une aide précieuse, incomplète et exigeante, qui demande des efforts de la part de tous : locuteurs entendants et personnes sourdes ou malentendantes. Le véritable enjeu réside dans la valorisation de tous les modes de communication, adaptés à chaque parcours de vie. Encourager la patience, le dialogue et la compréhension mutuelle, notamment dans les établissements scolaires, les lieux de soins ou dans la vie quotidienne, est un pas fondamental vers une société vraiment accessible en Haute-Savoie et ailleurs.

S’informer, sensibiliser, partager les expériences : chacun peut devenir acteur d’un monde plus accueillant pour la diversité des façons de communiquer.

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